au pays du toucher

Article de Jean-Louis Abrassart, paru dans la revue Nouvelles Clés,
remerciements à Jean-Louis de m'avoir autorisé à vous offrir cette page.

La peau et les bienfaits du toucher

Le toucher est d'abord un contact physique, l'un des cinq sens à notre disposition, certainement le plus méconnu à la fois dans sa physiologie et dans ses implications.
Revenons tout d'abord à l'extraordinaire organe sensoriel qu'est la peau trop souvent considérée comme une simple enveloppe contenant le corps. Etalée sur près de deux mètres carrés chez l'adulte, elle représente 18% du poids du corps et ses fonctions physiologiques essentielles au bon fonctionnement de l'organisme sont multiples : la peau respire, digère les graisses qu'elle synthétise en vitamine D, élimine...
Les glandes sudoripares filtrent le sang et participent au drainage des toxines hors de l'organisme.
Les glandes sébacées servent d'épurateur à la lymphe.
En secondant le fonctionnement de nombreux organes - reins, poumons - et en régularisant les échanges avec le milieu environnant, la peau participe au métabolisme du corps. Elle absorbe par exemple les radiations solaires indispensables à la survie et contribue au maintien de l'équilibre thermique de l'organisme.
Un simple toucher a déjà une fonction générale de stimulation de tous ces processus et de l'ensemble du métabolisme.
L'exemple dramatique des grands brûlés montre à quel point le rôle de la peau est vital car personne ne peut vivre sans posséder l'intégrité de la majeure partie de celle-ci. L'épiderme contient un nombre impressionnant de terminaisons nerveuses - sept cent vingt mille soit environ cinquante pour cent millimètres carrés.
Cela fait de la peau l'organe sensoriel le plus important du corps.
Toutes ces fibres nerveuses se terminent par des corpuscules sensitifs de nature différente, chacun étant attaché à un type de perception précis: sensibilité au contact, à la pression, à la douleur, à la température.

La peau est un véritable « système nerveux extériorisé » qui va fournir des informations essentielles à la survie de l'organisme. La peau, dont les cellules sont issues de la même couche de l'embryon que le système nerveux, se différencie d'ailleurs avant les autres systèmes sensoriels vers le deuxième mois de la gestation.
En étudiant la répartition des fibres sensitives issues de la moëlle épinière, on découvre les dermatomes, « bandes » de peau associées à une vertèbre et par là même à un organe dans le corps. C'est pourquoi tout contact physique influe sur le fonctionnement de l'organisme.
Utilisée systématiquement, cette correspondance a donné naissance aux méthodes de massages réflexes et elle explique bon nombre des effets de l'acupuncture. Cet effet organique du toucher est particulièrement sensible chez l'enfant qui vient de naître. Ce sont les contacts tactiles lors des contractions maternelles et de l'expulsion qui vont stimuler les fonctions respiratoires et digestives du nouveau-né. En cas d'insuffisance, elles doivent être remplacées par des massages ou des enveloppements. Ashley Montagu [1] dans son livre remarquablement documenté, La Peau et le Toucher, met bien en évidence l'importance des contacts corporels chez l'être humain comme chez les autres mammifères.
Les stimulations tactiles jouent un rôle essentiel dans l'épanouissement affectif de l'enfant et plus fondamentalement encore dans sa croissance physique. Il est prouvé qu'elles facilitent l'acquisition de nouvelles fonctions comme la marche, activent le système hormonal, contribuent à une régulation harmonieuse de l'excrétion et, fait important, sont intimement liées à l'établissement et au renforcement des défenses immunitaires.

Une enquête statistique récente a montré que la solitude et son corollaire, l'insuffisance de contacts corporels, sont des facteurs de haut risque de maladies graves. Cet isolement est présent dans près de 30% des cas. Sur un plan thérapeutique, le geste de toucher pour atténuer une douleur ou apporter un soutien est vieux comme le monde. Et c'est sans doute la plus ancienne thérapeutique « découverte » par l'homme, la plus instinctive.
Depuis plus d'une dizaine d'années, les techniques de massage se multiplient, signe de la nécessité de redécouvrir la dimension essentielle du toucher dans tous ses aspects. Techniques à tendance médicale comme le drainage lymphatique, les techniques de manipulation - ostéopathie, étiopathie, etc, - ou les méthodes réflexes - shiatsu, réfléxothérapie, massage du tissu conjonctif... -, techniques de bien-être comme le massage californien ou sensitif, techniques à but psychothérapeutique comme l'intégration posturale ou le massage bioénergétique.
Toutes ces approches par le toucher se distinguent les unes des autres par leur objectif et par leur profondeur d'action, la couche du corps sur laquelle elles agissent de façon privilégiée. En dehors de leur action spécifique, en tant que contact physique, les techniques de massage auront pour effet général de réduire les symptômes de stress : amélioration de la digestion, diminution de la tension sanguine, régularisation des éliminations intestinales et rénales, libération respiratoire, meilleure circulation sanguine, soulagement des douleurs psychosomatiques...
Le monde des massages est riche et multiple dans ces objectifs. La profusion des techniques est à la mesure de nos besoins. Cependant il ne faut pas oublier que massage implique relation et qu'au-delà de la technique, c'est la qualité de cette relation et le degré de perception du masseur qui font la différence.


Le moi-peau

Dans nos sociétés, le toucher est réservé trop souvent à des circonstances privilégiées : la mère qui touche son enfant, les relations sexuelles, la poignée de main sociale, qui définissent le cadre dans lequel il peut s'exercer et son degré d'implication.
L'éducation privilégie depuis des générations les fonctions intellectuelles au détriment du développement sensoriel et nous sommes presque tous frustrés de contacts corporels en quantité et en qualité. Du « Ne touche pas » de l'enfance aux difficultés relationnelles de l'âge adulte, que de gestes et d'élans avortés, que de corps qui crient leur besoin de contact.
Etre touché, reconnu, accepté, aimé : ces manques hérités de l'enfance faussent nos relations et le sens de notre vie tant que nous n'acceptions pas de les reconnaître et d'y remédier.
Chez le nouveau-né, la peau est la seule - et la première - occasion de communication.

Avant la naissance, nous sommes entièrement plongés dans un univers de perceptions tactiles et de sensations corporelles qui représentent la majeure partie de la réalité intra-utérines : enveloppés, bercés, soutenus par le liquide amniotique, en contact direct avec les rythmes cardiaque et respiratoire de la mère. Après la naissance, c'est à partir de la réassurance et de la sécurité que lui apporte le contact maternel que l'enfant va petit à petit prendre ses distances et son autonomie, découvrir le monde extérieur après l'univers clos prénatal.
C'est dire l'importance de ces premiers contacts qui permettent la transition à partir de la vie intra-utérine et sur lesquels l'enfant va forger son identité. De plus, ces premiers échanges corporels sont intimement liés à la satisfaction orale, car le plus souvent concomitants à la tétée.
Le toucher est essentiel au développement de l'enfant : il est preuve d'amour, de reconnaissance, de sollicitude et d'attention, sentiments nécessaires pour développer le sens de notre propre importance et notre sécurité de base.

Se fondant sur le principe que toute fonction psychique se développe en prenant appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement, Didier Anzieu [2], dans son ouvrage le Moi Peau, a structuré un parallèle entre les fonctions physiologiques de la peau et la constitution du moi.
Il émet l'hypothèse d'une peau à double face : une face interne qui contient, limite; une face externe qui perçoit, protège. Tout contact avec la peau sera-t-il vécu en fonction de cette polarité : un toucher peut être sécurisant ou oppressant, stimulant ou menaçant suivant la manière dont j'habite mon corps. Non seulement le toucher met en scène le présent de la relation mais réveille également sur quels présupposés, sur quelles croyances je la construis.
Didier Anzieu lie le sentiment d'une intégrité personnelle, la fonction de défense du Moi aux contacts corporels reçus dans l'enfance. C'est toute la trame du jeu relationnel, la dialectique de la distance et de la proximité, de l'intimité et du recul qui se met en place ainsi au fil des expériences. C'est pourquoi tout rapport par le toucher est significatif de notre territoire, de la plus ou moins juste distance que nous établissons dans notre relation aux autres.


Le toucher transpersonnel

Au-delà de ses fonctions physiologiques et de son impact relationnel, le toucher est partage à un niveau plus fondamental encore. Comme le rappelle Annick de Souzenelle [3], le terme « peau » signifie en hébreu « pas encore lumière ».
La peau est la limite du corps physique et, par là même, le début de couches plus subtiles, non matérielles mais perceptibles.
Toute recherche sur le toucher débouche immanquablement sur cette hypothèse de l'existence de « corps subtils » que l'on retrouve dans toutes les traditions spirituelles et qui traduiraient à la fois le rapport qui s'établit entre le physique et le psychique chez un être humain en même temps que sa relation avec son environnement.
Les guérisseurs parlent d'une énergie vitale qui circule, dans, et autour, du corps. De tous temps, l'imposition des mains a été considérée comme une méthode particulièrement efficace pour soulager ou guérir sans qu'on puisse la réduire à un simple phénomène de suggestion psychologique.
Le toucher est alors don énergétique et partage d'une réalité intérieure.
Il y gagne une dimension transpersonnelle que l'on retrouve dans le contact amoureux lorsque celui-ci va au-delà des besoins physiques et affectifs. Il s'adresse au travers du corps à l'être et non plus à la personne, à la dynamique vitale selon l'expression de Danis Bois [4].
Le toucher ouvre alors entre deux êtres un espace de ressenti partagé car il permet de pénétrer la réalité de l'autre au-delà de la séparation physique des corps et des jeux relationnels. Il affirme l'identité de la chair et du sang qui me permet de sentir le corps de l'autre comme je sens le mien en transcendant les limites de l'Ego identifié au corps.
Il est alors réellement acte d'amour au sens le plus large.

Dans la mesure où la dynamique vitale, ce mouvement de l'Etre cherchant à réaliser son potentiel, se traduit dans le corps et peut être touché, le contact va révéler comment ce mouvement est accepté et intégré par la personnalité.
Le corps - physique et subtil - est considéré alors comme le théâtre de cette lutte ou de cet accord avec soi-même.
Reflet de notre histoire relationnelle, le toucher devient messager de nos besoins profonds, fil conducteur de notre évolution.


La relation d'aide par le toucher

Le toucher dans la Relation d'aide par le toucher participe des trois dimensions évoquées : physique, relationnelle et spirituelle.
Au-delà de la technique qui se détermine par une action physique spécifique, la relation praticien/patient est fondamentale car elle conditionne la manière dont ce dernier reçoit et dont le praticien donne. Toute intervention corporelle, toute pénétration dans le territoire de l'autre est psychosomatique car elle réveille les schémas relationnels par une double action :
  - parce qu'elle est elle-même relation dans le moment présent, mettant en jeu un geste, un mouvement vers l'autre, un contact physique, ou à distance, particulièrement impliquant et lourd de sens, nous l'avons vu.
  - parce que les attitudes son inscrites dans les différentes couches du corps sous forme de sensations mémorisées, de tensions musculaires, de blocages respiratoires que le toucher va restimuler. Seule, l'intégration de cette double dimension relationnelle permettra à une intervention d'avoir des résultats durables au fur et à mesure que les tensions physiques révéleront leur contenu psychique et que la relation praticien/patient sera clarifiée.
En développant sa capacité de pénétrer par le toucher le ressenti de l'autre, le praticien peut percevoir la manière dont le corps est habité, la coloration émotionnelle d'une tension, sa signification dans le vécu de son patient.
Par ce « toucher intérieur », il va favoriser la prise de conscience de ce contenu psychique, l'acceptation du message délivré par la tension. L'expression verbale que le patient fera de son vécu relayera ce toucher silencieux et permettra de l'intégrer. Si le praticien livre verbalement sa propre perception, il reste conscient de sa propre subjectivité. La qualité de son intervention est fonction de son niveau de perception, de sa participation sensorielle au vécu de l'autre, pas de l'interprétation qu'il en donne.

Ce toucher est moins intervention qu'écoute, la main se laisse guider dans un non-faire actif qui, en révélant la manière dont le corps est habité, va ramener le patient à la nécessité de prendre en compte ce que le corps a à lui dire. En mettant en évidence l'écart qu'il y a entre ce qui est vécu et ce qui est à vivre, ce toucher prend sa dimension spirituelle car il présuppose que chaque personne a « quelque chose » à réaliser, une voie à suivre et que, d'une certaine manière, ce chemin est pré-inscrit dans le corps.
« Le corps est le temple de l'homme », disent les traditions.
Ce niveau d'implication sous-entend que le praticien est lui-même en contact avec sa dynamique intérieure que son cheminement personnel l'a amené à intégrer. Son propre vécu corporel face à son patient lui sert de référence pour évaluer comment il reste en accord avec lui-même dans la relation à l'autre.


   [1]   Ashley Montagu, La Peau et le toucher, ashley montagu Éditions Seuil
   [2]   Didier Anzieu, Le moi-peau, didier anzieu Éditions Dunod
   [3]   Annick de Souzenelle, De l'arbre de vie au schéma corporel, annick de souzenelle Chasse aux Livres
   [4]   Danis Bois, La vie entre les mains, danis bois Éditions Guy Trédaniel

 

 

 

 

jean-louis abrassart Jean-Louis ABRASSART
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